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Carnet et stylo plume

PUBLICATIONS

Mon premier roman est en cours de finalisation. Je ne vous en dévoile pas le thème pour l'instant. Il devrait paraître fin 2024 si tout va bien.

 

Vous trouverez ici les premiers paragraphes d'une des nouvelles  d'un recueil qui sera édité fin 2024 ou début 2025. D'autres projets d'écriture sont en préparation.

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ORDINAIRE

16 juillet 2022

ORDINAIRE

Ari Tsanoua a 87 ans. Cela fait une éternité qu’il réside dans ce quartier populaire de V. Il y a vu les années s’égrener sans même s’en rendre compte. Ari, tout le monde le connaît dans cette banlieue ! Il en est une figure. Pendant des années, il s’est dévoué pour le club de football où il a entraîné les gamins avec la ferveur qu’on lui reconnaissait. En quarante ans, aucun match raté, une présence infaillible qu’il neige, pleuve ou vente. Les familles, les plus jeunes aux plus âgés l’adorent. Pour peu, on lui dresserait une stèle sur la place du quartier. Le maire lui avait d’ailleurs rendu visite il y a quelques années pour lui proposer la médaille des sports de la ville en remerciement de ses bons et loyaux services. Mais, gentiment - car il ne savait pas s’exprimer autrement -, Ari avait décliné l’offre tout en remerciant l’édile de sa sollicitude.

 

Il en a vu passer des enfants, Ari, un grand nombre ont fondé une famille, sont pères et mères, d’autres, surtout ces dernières années, ont échoué dans leur cursus scolaire et traînent leur ennui sur les bancs au pied des tilleuls ou d’un point de deal à un autre.

 

On voit chaque matin Ari trottiner pour se rendre à la supérette tenue par Mohammed. C’est comme un rite. Il n’a certes plus le pas vaillant de ses 30 ans lorsqu’il arbitrait les matchs et ne gâchait pas son plaisir à courir sur tout le terrain. Sa démarche est parfois incertaine au point qu’il a dû se résoudre à acquérir une canne sur l’insistance de son fils. Et pourtant, qu’il avait fière allure à cette époque dans sa tenue rouge et noir aux couleurs de la marque du supermarché local ! Les femmes cherchaient sa compagnie, ce qui faisait froncer les sourcils de leurs maris, jaloux. Mais Ari reste alerte en dépit de quelques douleurs articulaires. Il se sent bien dans ce quartier dans lequel il s’est enraciné. Pour rien au monde, il n’en partirait. Sur le chemin, il ne cesse de saluer les gens. On lui adresse toujours des bons mots chaleureux, il répond invariablement à tous avec l’affabilité qui l’a toujours caractérisé. Sa marque de fabrique en quelque sorte. On l’interpelle sur sa santé, sur le temps, sur les derniers événements du quartier. Il exprime toujours la même sollicitude même lorsque ces événements sont graves. Comme ces derniers jours, des tirs entre deux bandes rivales pour le contrôle de points de vente de crack qui ont vu s’effondrer mortellement un jeune qu’Ari avait formé au club. Ari reste discret sur sa vie, sur ses pensées, sur ses jugements sur le monde qui l’entoure dont il voit bien qu’il se dégrade chaque jour un peu plus. On ne compte plus ici les voitures brûlées, les matchs de boxe à mains nues, les bagarres à coup de battes de base-ball, les règlements de compte au cutter, les agressions surtout de personnes qui osent s’aventurer dans le quartier ou qui s’y sont installées récemment, les tirs au mortier ou de carabine dans les fenêtres. La loi est ici celle de quelques familles qui imposent leur mode de vie et ont mis le quartier en coupe réglée. Les pompiers, la police, les médecins ne viennent que lorsqu’ils y sont contraints. Il est bien loin le temps où dans les années soixante cette banlieue avait vu les grands ensembles, comme on disait à l’époque - terme qui voulait déjà sans doute souligner l’image d’un vivre-ensemble qui avait failli depuis longtemps -, accueillir des cadres et des employés pour leur offrir un confort qu’ils ne trouvaient plus dans les centres-villes. Ces classes moyennes avaient fui l’insécurité et la saleté au fur et à mesure qu’elles s’étaient installées, non que le quartier avait été abandonné par les pouvoirs publics comme Ari l’entendait régulièrement sur les ondes. Les ravalements successifs, le soutien apporté au petit commerce local, l’installation d’une plaine de jeu pour les enfants, la création de terrains de sport en lisière du quartier, le renouveau du centre social sous l’impulsion d’une équipe dynamique, les plantations d’arbustes, bref les centaines de millions d’euros déversés sur le quartier, souvent sans discernement et pour des raisons électoralistes - il fallait bien que le maire, le député et le ministre issu du territoire se trouvent quelque chose à inaugurer, remplis de leur satisfaction -  n’avaient pas suffi à endiguer la lèpre montante du trafic de drogue et de l’insécurité suivis ces dernières années par les prêches salafistes d’un imam radical qui embrigadait les plus jeunes.

 

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